Le parcours d’art contemporain CARNE présente du 30 septembre au 14 octobre 2010 des installations artistiques dans les boucheries, commerces et restaurants associés aux métiers de la viande se situant sur une partie des anciens territoires des Abattoirs de La Villette.
De ce quartier multiculturel et chargé d’histoire, CARNE révèle la tradition du travail de la viande qui a marqué de son empreinte l’histoire du 19ème arrondissement.
Les artistes sélectionnés interrogent de manière singulière et variée le geste ancien des transformateurs de bétail en viande, « Les Chevillards », des opérations d’abattage et
« d’habillage ».
Rencontre avec la pétillante Clarisse Griffon du Bellay, sculpteur, qui expose une monumentale carcasse de viande dans ce parcours.
From The Skyline : Bonjour Clarisse, tout d'abord je souhaitais savoir comment vous aviez pris connaissance de cette exposition et ce qui vous avez poussé à y participer ?
Clarisse Griffon du Bellay : Quelqu’un que je connais et qui connait mon travail a vu cet appel à projet et a pensé à moi.
J’ai été assez étonnée de voir un parcours sur ce thème, qui a été mon thème de sculpture pendant près de deux ans et qui a été mon premier sujet en taille de bois. Je me suis dit que c’était l’occasion de monter ce travail, et puis j’étais assez curieuse de voir comment d’autres pouvaient aborder ce sujet.
FTS : De quel cursus venez vous ?
CGDB : J’ai été formée pendant trois ans aux Ateliers Beaux-Arts de la Ville de Paris, à la Glacière (13ème arrondissement), dans l’atelier de taille directe de Sylvie Lejeune. J’y ai taillé la pierre, le bois et le granit.
FTS : Comme vous l'avez dit, vous avez travaillé sur le sujet de la viande, les carcasses... Que voulez vous exprimer à travers ce sujet ?
CGDB : J’ai travaillé sur ce thème pendant deux ans, et mon travail actuel en découle pleinement. A travers mes carcasses je parle du corps, en le plantant face à la mort. Je recherche une présence brutale, primordiale, d’autant plus palpitante de vie que la mort y est déjà inscrite, ainsi que la décomposition à venir.
FTS : Quels sont les autres sujets que vous abordez dans vos sculptures ?
CGDB : Je crois que ce qui s’inscrit en filigrane dans mes sculptures est mon rapport à l’effroi. Je cherche à figurer le vertige de n’être qu’une substance périssable malgré tous les désirs d’être plus que ça. J’explore ma hantise de la mort et mon désir hurlant de vie.
FTS : Vos œuvres sont fabriqués dans quel matériau ? Lequel préférez vous travailler ? Avez vous une préférence ? Pourquoi ?
CGDB : Je travaille essentiellement le bois. Il ne s’agit pas vraiment d’une préférence mais d’une évidence. J’ai commencé par travailler la terre, le plâtre, la pierre. J’ai commencé à tailler un bois avec une envie très ténue, juste pour goûter et depuis je n’ai jamais pu en sortir ! Cette première sculpture en bois a été aussi ma première carcasse, et la première sculpture dans laquelle je me retrouvais pleinement, ouvrant un territoire. Tailler le bois c’est tailler dans du vivant, c’est devoir prendre en compte un monde autre. J’aime aussi l’incision, pour moi tailler le bois est d’une bien plus grande violence que de tailler la pierre par exemple.
FTS : Une fois l'œuvre achevée, traitez vous les matériaux ou restent-ils à l'état brut ?
CGDB : Je laisse le bois à l’état brut
CGDB : Je crois que je laisse mes œuvres à l'état brut tout simplement parce que j'aime le bois à l'état brut et que pour moi cirer les bois où autre est quelque chose de tout à fait accessoire. J'ai peint mes dernières sculptures, les Cannibales, mais là la couleur venait pour faire sens.
FTS : Comment procédez vous pour réaliser une œuvre comme celle exposée aujourd'hui ? Travaillez vous à partir de dessins/esquisses ou travaillez vous directement la matière ?
CGDB : Je dessine beaucoup, avant et tout au long de mon travail de taille. Pour cette pièce par exemple j’ai commencé par faire de grandes esquisses, à la même échelle, à l’encre de chine et avec de la couleur rouge. Les premières esquisses sont assez vagues, elles permettent de donner l’impulsion. Je ne cherche jamais à reproduire ce que j’ai dessiné. La taille est un dialogue permanent entre le matériau et soi, il faut pouvoir prendre des décisions sans s’imposer et savoir se laisser guider par le bois. A mesure que la sculpture naît mes dessins gagnent en précision. J’ai aussi beaucoup dessiné de carcasses de boucherie ainsi que bon nombre de détails, substances nerveuses, veineuses, alvéoles, parois, pour avoir ces images dans la tête et le corps au moment de la taille, sans avoir à y penser.
CGDB : Pour le moment nul part en vrai. Mais j’ai un site : www.clarissegriffondubellay.com
FTS : Avez vous d'autres projets en cours ou à venir ? Si oui, quels sont ils ? Acceptez vous de nous en parler un peu ?
CGDB : J’ai un grand projet à son balbutiement. Il s’agit du Radeau de la Méduse, pas du tableau, de la vraie histoire. J’ai construit un grand radeau de 3 mètres sur 2 sur lequel j’ai disposé des morceaux de bois éclatés et pourris dans lesquels je m’apprête à tailler des corps. Parler du radeau c’est parler de ma propre survie. L’instinct de vie si puissant qu’il brise tous les tabous, pousse à tous les extrêmes.
Je veux aborder le cannibalisme qui est terriblement lié à mon imaginaire de la mer. L’engloutissement de la mer. Même les vivants sont mangés, c’est la mer qui mange tout le monde. Les corps sont submergés, ils sont rongés vifs. La mer mange les plaies, les os sont à vif. La mer noie et aspire les cadavres. C’est toujours elle qui mange finalement. Elle affame les corps, les poussent à l’extrême et les mange morts et vivants. Nous contenons la mer, nous rongeons comme elle. Dans notre ventre passent les flux, notre corps fait ce même travail. Nous rongeons et nous sommes rongés.
Je vais faire des corps qui se liquéfient, traversés par le flux et devenant flux eux-mêmes. Contenant la mer et flottant dedans. Le défaire de la peau, la perte des contours.
"Voici les premiers dessins du radeau. Je me raconte l'histoire, je me mets dans la tonalité. Les dessins sont encore narratifs et précis. Ils sont encore loin de ma sculpture à venir, qui sera beaucoup plus fragmentaire" |
Pour voir la sculpture de bœuf de Clarisse Griffon du Bellay : Studio Geode - 25 avenue Corentin Cariou. M° Porte de la Villette.
Toutes les informations sur l'exposition Carne : www.expo-carne.fr
Bravo travail tres interessant et emouvant, neophyte que je suis, je ne peux m'empecher de penser au travail de Belinde De Bruyckere http://www.hauserwirth.com/exhibitions/668/berlinde-de-bruyckere/view/ je vais voir cette expo de ce pas. Merci a Tom
RépondreSupprimerDecebal Bora
PS pour les gestionnaires du site, ce serait top de relire avant publication "J'ai peins mes dernières sculptures..." ou "... l’ancre de chine..." (encre de Chine)?
C'est vraiment très spécial ! En définitive je ne crois pas que j'irai admirer ses œuvres ( à en rêver la nuit !!!.
RépondreSupprimerMerci et gros bisous.
Pierrette
Et voilà, c'est corrigé :-)
RépondreSupprimerSuperbe ! çà donne envie de le voir de plus près et en vrai .. c'est ce que je vais faire ce weekend.
RépondreSupprimerChristine
Chere Clarisse,
RépondreSupprimerEncore une reference au boeuf ecorche et bravo pour cette sculpture:
"Se souvenant du "Bœuf écorché" de Soutine, [Baselitz] se mit à peindre ses sujets la tête en bas, stigmatisant de la sorte une planète telle qu’elle est, désemparée, bestiale."
http://www.lalibre.be/culture/arts-visuels/article/654529/baselitz-et-la-bestialite.html
Decebal Bora